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Le numérique peut-il sauver le lien social ?

À l’occasion des 25 ans de la Fondation d’entreprise Kronenbourg, une problématique au cœur de notre nouveau quotidien a été examinée et tranchée lors d’un débat animé par la revue Usbek & Rica, sur le thème : « Le numérique peut-il sauver le lien social ? »

Reprenant les codes d’un procès, ce format original de « Tribunal pour les Générations Futures » a mis en scène une cour constituée de faux président, avocat et procureur, un jury, un greffier ainsi que trois témoins qui se sont succédé à la barre.

Le numérique peut-il sauver le lien social ?

 

  • Rappel des faits: le président de la cour, Lluis Pino, créateur du format Tribunal pour les Générations Futures chez Usbek & Rica, a rappelé le contexte :

« Il y a 10 ans, le numérique était présenté comme une révolution pour le lien social (partage des connaissances, économie collaborative, contacts à travers le monde). Seulement voilà, alors même que le numérique a littéralement sauvé le lien social pendant la pandémie (apéro Skype, réunions zoom…), on s’est aussi rendu compte de tout le mal qu’il pouvait faire (burn out, solitude et isolement des jeunes générations surtout) notamment sur les rencontres “en vrai”, celles que l’on faisait auparavant à la volée dans des cafés, dans des bars, socle de toute la culture française du partage et du débat éclairé. Mais pour ne pas tomber dans les écueils du “c’était mieux avant”, je vous propose de débattre autour du chef d’accusation : « le numérique peut-il sauver le lien social ? ».

  • Les éléments en faveur du « non » ont été avancés par le procureur, Vincent Edin, journaliste et professeur de rhétorique politique :

Arguments à charge : « Le numérique, le plus souvent, ne vient pas en plus mais à la place de l’humain : pour acheter vos billets SNCF, pour compléter votre déclaration d’impôts, pour faire votre orientation post bac (…), quoi de plus solitaire et de moins humain qu’un algorithme ou qu’un chat bot ? Le lien social est cassé des deux côtés : pour les usagers qui n’ont plus le droit à un service de qualité, bien sûr, mais aussi pour les travailleurs qui perdent le sens dans la digitalisation de leurs pratiques. » Le procureur a aussi dénoncé « notre société du sans contact : nous sommes contraints à visionner des tutoriels, à répondre à des FAQ et à suivre des webinaires à distance quand on préfèrerait des expériences, de l’humain avec des coaches, des profs… » Et que dire du travail mis à mal par le numérique ? « Nous avons laissé Zoom uberiser nos vies, renforçant le contrôle, le poids du travail à distance… Qui peut croire que le lien social se fait dans ce type de réunion ? Où sont les élans empathiques pour le collègue qui se noie dans son travail dans ces webinaires indigestes ? Comment détecter les burn out sans temps informels ? On ne peut pas. »

Auditionné en tant que témoin, Denis Tallédec, directeur général de la Fédération nationale des cafés cultures et clubs culture, a expliqué : « Avec le numérique, on passe d'une société tribale à multi-tribale : on continue à mimer les comportements de nos pairs pour se normaliser, mais ce dans plusieurs communautés différentes ».

  • Les éléments en faveur du « oui » ont été développés par l’avocate de la défense Charlotte Dekoker, journaliste franco-belge, auteure, chroniqueuse radio :

Après avoir rappelé les services rendus par des applis comme Skype, zoom ou Facetime lors des confinements - « si vous avez sauvé les liens avec vos proches, c’est grâce au numérique » -, l’avocate a  défendu : « le numérique n’est pas opposé à la vraie vie, il est son allié et son facilitateur : le petit coup de starter nécessaire quand on est un peu timide, le pansement à une existence solitaire quand on est isolé ou l’outil de survie indispensable quand on est dans une situation de précarité, ou de détresse absolue » (citant l’exemple des enfants ukrainiens, exilés, qui continuent à suivre leurs cours grâce aux ordinateurs). Autre vertu du numérique mise en avant : « La possibilité d'accéder à des films et à des spectacles en ligne, c'est aussi ce qui nous permet, à vous et à moi, bien que n'étant pas nés au même endroit, de partager une culture commune, et par là, de faire société. » En conclusion, elle a plaidé pour « un numérique plus sûr, plus participatif, et plus décentralisé » capable « de sauver le lien social, de l’entretenir, de le créer, de le pimenter même, grâce au numérique. ».

Parmi les témoins, Christian Delachet, co-fondateur de Wanted Community, a argumenté dans le sens de la défense : « Le numérique est un tremplin, une passerelle, pour créer du lien social ultra-local bien réel ». De son côté, Isabelle Dijan Lignon, essayiste et autrice du tout récent « Meta-Morphose, la condition humaine à l'ère numérique » (Edico) a fait le constat suivant : « Nous sommes à présent à un carrefour où nous pouvons encore choisir de construire un nouveau numérique empathique, humain, inclusif et accessible, notamment avec le métavers. » 

  • Le verdict: « Oui, le numérique peut sauver le lien social ».

A l’issue de l’audience et des réquisitoires du procureur et de l’avocat, le président a dévoilé le verdict du jury constitué du public. S’étant forgé son intime conviction sur la base des arguments entendus, et ce dans l’intérêt des générations futures, celui-ci a tranché en faveur du « oui » à la question : “Le numérique peut-il sauver le lien social ?”.

Néanmoins, le jury a tenu à rappeler que le numérique est certainement plus susceptible de « faciliter » le lien social que de le « sauver ». Il a aussi précisé que par ailleurs le numérique ne reste qu’un outil, si merveilleux qu’il soit pour initier le lien social, le plus important étant que celui-ci se tisse et s’exerce avant tout dans un lieu physique.